Ce texte fut écrit pour la revue de la SPA. Je le livre tel quel. Depuis, Jovia a rejoint dans les prairies célestes tous ceux qui m'ont quittée, pour y batifoler au mileu des fleurs. Parfois ils reviennent me dire :"Ne t'inquiète pas, nous sommes toujours là, heureux parmi les étoiles..."

19 décembre 1998. Neuf heures.                Jovia, bien après son arrivée chez nous...

Ce matin-là, je savourais d'autant plus mon petit-déjeûner, que c'était le premier jour des vacances de Noël. En parcourant le journal, je ne savais pas encore que ma vie s'en trouverait changée à jamais. Comme d'habitude, un rapide survol de la rubrique "Animaux" et des annonces de la SPA. En caractères gras je lis, interloquée : "URGENT ! Cherche familles d'accueil pour cinq femelles greyhound récupérées dans des conditions dramatiques. Contacter la SPA" etc., etc. Que pouvait bien signifier "récupérées dans des conditions dramatiques" ? Etant l'heureuse propriétaire de Dedicace, adorable whippet de 10 ans, je n'arrivais pas à imaginer que l'on puisse faire du mal à ces chiens en tous points parfaits (je sais bien que tous les passionnés d'une race, ou de leur adorable bâtard, pensent exactement la même chose de leur propre chien !). Mon sang ne faisant qu'un tour, me voilà en communication avec une bénévole de la SPA pour en savoir plus. J'explique que je connais bien les lévriers pour en posséder un moi-même, mais l'affaire étant particulière, on me demande de contacter le responsable, un certain H.L., plus tard dans la matinée, pour avoir de plus amples détails.

11 heures. Et plus rien ne sera comme avant.

H.L. me raconta le périple de plusieurs milliers de kilomètres de ces cinq chiennes et d'une trentaine d'autres compagnons d'infortune venant d'Espagne, car c'était de là que venaient ces cinq greyhounds. Subitement, je découvris le sort que l'on réserve dans ce pays aux lévriers de courses ou aux galgos (lévriers utilisés pour la chasse) devenus moins performants et donc, à ces bouches inutiles dont on se débarasse avec une cruauté que jamais je n'aurais pu imaginer. Une fois raccroché, il me fallut quelques minutes pour me remettre des atrocités que je venais d'entendre. Ce serait donc ainsi, nous accueillerions une greyhound dans notre famille. Préparer deux gamelles au lieu d'une, promener deux chiens au lieu d'un, qu'est-ce que cela changerait ? Quant à Cannelle, notre petite chatte tricolore, il ne faisait pas l'ombre d'un doute qu'elle adopterait cette nouvelle présence, comme elle-même avait été accueillie par Dedicace alors âgé de six ans. Et de l'affection, il y en aurait bien assez pour tout le monde. Il y avait juste un petit détail à régler, mais certainement pas des moindres : comment allais-je annoncer la nouvelle à mon mari ?

...Il est des jours où le destin frappe à votre porte, et vous la lui ouvrez, sans poser de questions, sans émettre la moindre objection, simplement un peu étonné d'emprunter cette nouvelle voie qu'il vous a tracée...

17 heures. Jovia entra dans notre vie.

Son poil terne, hirsute, des bourgeons de chair sanguinolents sur la tête et le cou, marques de morsures récentes, son refus de marcher sur un carrelage qu'elle ne connaisssait pas, faisaient peine à voir. La douceur de son regard emporta l'adhésion de toute la famille. Dedicace donna immédiatement des preuves d'hospitalité en montrant uen joie débordante et sans retenue. Une nana, rien que pour lui, ça s'était inespéré !
Jovia trouva sa place parmi nous au fil du temps. Jamais elle ne manifesta d'agressivité envers Cannelle la chatte, et partageait volontiers le même canapé. Jamais elle n'imposa sa présence, pétrie de discrétion qu'elle est.  Nous avons dû lui montrer avec beaucoup de douceur qu'elle était chez elle maintenant. Entourée et aimée.
Aujourd'hui, de ces trois-là, Jovia est la seule encore parmi nous. Dedicace et Cannelle nous ont quittés au printemps 2001 à un mois d'intervalle.Un pan de ma vie s'écroula dans la douleur. Mais Jovia avait montré la voie. Trois semaines seulement après la mort de Dedicace, et sans que je le cherche le moins du monde, c'est Choupette, une petite whippet de quatre ans, qui croisa ma route. Puis, après quelques mois, une fois les cendres de Dedicace et de Cannelle enterrées dans notre jardin, je me rendis au refuge, juste pour faire un petit tour et voir les chats. Et Myrtille m'attendait...

Je ne remercierai jamais assez H.L. pour le merveilleux cadeau de Noël qu'il nous fit ce samedi 19 décembre 1998 à 17 heures.
J'espère que beaucoup d'autres accueilleront ces êtres en attente d'un peu de chaleur, qui nous rendent au centuple l'affection que nous leur accordons, pour peu que nous sachions faire preuve d'un peu de patience et surtout, que nous les acceptions tels qu'ils sont...

A tous les bénévoles du refuge de la SPA qui donnent de leur temps, de leur énergie et de leur affection sans compter, merci.

    Jovia va bien. Physiquement, elle va même très bien ! L'appétit et le moral sont au beau fixe, ce qui conditionne quand même une bonne partie du reste, avouons-le !
Les déplacements sont un peu plus hésitants et parfois même chancelants, mais Jovia s'accorde encore des petites promenades. Quand nous partons, c'est elle qui décide si elle veut nous accompagner. Si c'est oui, elle se plante devant moi en attendant que je lui mette le collier, si c'est non, elle retourne se coucher sur la canapé qu'elle escalade toujours ! Mais elle a opté pour un compromis : elle se sert de la chauffeuse à côté du canapé comme d'un marche-pied, puis elle enjambe l'accoudoir ! Et il lui arrive même encore de grimper directement. Pour la descente, c'est toujours la même tactique (voir précédemment). 

Là où l'âge se fait sentir, c'est dans la tête ! Jovia se met parfois à aboyer sans raison (?) ce qui m'oblige à me lever plusieurs fois la nuit. J'en profite pour la faire sortir, cela évite les flaques sur le carrelage ! La fréquence me fait penser qu'il ne s'agit pas uniquement d'assouvir un besoin pressant...
D'autre part, quand elle se retrouve dans le jardin, elle marque un temps d'arrêt du genre : "Au fait, qu'est-ce que je voulais faire ? Pourquoi je suis là déjà ?" en regardant devant elle. Puis elle va faire son petit tour !
Ceci est bien évidemment épuisant au bout de quelques temps, mais j'accompagnerai Jovia dans sa viellesse aussi longtemps que je le pourrai et que la chienne n'en souffrira pas...

Avec les progrès de l'alimentation et de la médecine vétérinaire et donc, une longévité accrue, on retrouve chez les animaux, les mêmes problèmes que chez les humains...

Lors du dernier rappel de vaccin, le vétérinaire a trouvé que Jovia était plutôt bien d'un point de vue musculaire et pour son âge quasi canonique, bien sûr. Il est vrai que je veille à lui maintenir un exercice mesuré, de façon à la ménager. Les promenades ne sont plus quotidiennes, mais quand elle nous accompagne pour une petite promenade hygiénique (adaptée à ses possibilités dans ce cas), elle suit toujours en déployant un joli pas énergique.
Et puis Jovia a encore de l'entraînement à la course : lorsqu'elle dort, il y a toujours une phase de rêve où Jovia court ! Et les gestes de ses postérieurs sont impressionnants d'énergie et de puissance !!

14 (quatorze, vous avez bien lu), c'est aujourd'hui que Jovia a 14 ans !!!
L'événement est d'importance, car des cinq femelles arrivées en même temps qu'elle, il ne reste pas grand monde à ma connaissance. Fairy, peut-être. Elle était plus jeune et en bien meilleur état, mais je n'ai pas de nouvelles la concernant.
Jovia va bien : elle est un peu raide en se levant du canapé, parfois l'équilibre est instable, et parfois nous devons l'aider à se relever quand elle est en mauvaise posture (glissant sur le carrelage par exemple). Mais elle descend encore du canapé en deux temps : d'abord les antérieurs, puis elle évalue la situation, et elle envoie l'arrière-main rejoindre le reste ! C'est très technique, mais jusque là, elle maîtrise et le moral est au plus haut ! Et c'est bien là l'essentiel.
Nous avons changé sa nourriture pour soulager un peu les reins car elle présentait un excès de créatinine, mais pour le reste, la prise de sang était tout-à-fait normale...

Jovia était très amaigrie, aussi m'avait-on dit d'y aller franchement avec la nourriture ! Ce que je fis. Et Jovia prenait du poids, mangeait si bien que je trouvais qu'elle y allait un peu fort. Au point qu'elle prenait de l'embonpoint.
Je trouvais cependant bizarre qu'elle prenne surtout du ventre. Elle ne ressemblait plus trop à un lévrier ce qui, du coup, m'encouragea à limiter un peu les rations. Mais Jovia ne reprenait pas sa taille de lévrier...

A l'écurie, Bernard, un copain, me dit que ma chienne portait !
- "C'est ça, moque-toi de moi", répondis-je. Et les journées passèrent, Jovia, non seulement ne maigrissait pas, mais en plus, elle semblait carrément affamée !
Quand Bernard me dit que ce n'était pas une blague et que cette chienne n'était pas loin de mettre bas, ce fut le branlebas de combat : rendez-vous chez le vétérinaire, échographie. Diagnostic : au moins quatre chiots !! Et avec son état général, il était impossible d'une part qu'elle menât cette gestation à son terme, et d'autre part qu'elle puisse ensuite nourrir ses petits. Pour moi il n'était pas non plus envisageable d'avoir une portée à la maison, de plus, le père étant inconnu, Dieu sait ce qu'auraient été ces chiots !
Bref, la décision fut prise d'intervenir. Ce fut une sage mais très triste décision car je sentais les petits bouger dans son ventre.
Jovia portait en fait six chiots. Bien plus tard, je sus que le père était un galgo de Medina del Campo. Mais pour le bien de Jovia, il fallait intervenir.
Jovia et les quatre autres chiennes n'avaient pas été stérilisées en Espagne et devaient l'être après leur arrivée dans les familles une fois requinquées. Nous avons dû précipiter les choses...

   Le premier soir, nous nous sommes demandés comment nous allions faire avec un chien qui n'osait pas bouger dans la maison ! Il fallait bien que Jovia se nourrisse, or elle ne pouvait aller vers sa gamelle puisqu'elle n'osait pas se déplacer. 
   J'ai donc essayé de lui tendre l'écuelle pour qu'elle mange, mais elle ne prenait rien si nous le tenions à la main. Nous avons alors décidé de jalonner son parcours avec des tapis, cherchant tout ce qui pouvait y ressembler et qui tiendrait au sol sans glisser. Elle apprécia et commença à se déplacer en suivant toujours ces mêmes parcours sécurisés.
   Les repas ne s'éternisaient pas, car en moins d'une minute, tout était avalé goulûment en quelques bouchées  !
   Pour les sorties, il suffisait de la mettre en laisse et elle nous suivait avec précaution sur le carrelage.
Jovia a toujours marché en laisse comme une déesse, sans tirer, toute heureuse de se promener.

Ce 19 décembre 1998 nous avions rendez-vous à la maison à 17h. H.L., le responsable de la SPA vint avec deux chiennes afin de déterminer laquelle s'intégrerait le mieux aux autres animaux de la famille.
  Fairy était une jeune greyhound blanche avec des taches noires. "Bonjour, moi c'est Fairy" avait-elle l'air de dire. Elle se montra tout de suite intéressée par Cannelle la chatte, qui se réfugia sur un meuble. Fairy, très à l'aise, se déplaçait sans problème dans la maison. Mon choix se porta rapidement sur elle : fringante, pas effrayée, en bien meilleur état que l'autre chienne qui n'osait pas bouger sur le carrelage, un revêtement qu'elle ne connaissait pas.

 
Jovial, c'est le nom qui était inscrit sur son collier, était tout le contraire de Fairy. Timide, effacée et surtout, paniquée par cet endroit qu'elle ne connaissait pas. Elle portait de vilaines morsures sur la tête, l'une sur le dessus du crâne, l'autre à la naissance du cou, infligées sans doute par ses congénères dominants. Elle était très maigre, le poil terne et hirsute. Il avait fallu littéralement la tirer à l'intérieur, tant elle était effrayée. Et elle ne bougea pas d'un centimètre, restant plantée là où elle s'était arrêtée. Dedicace marquait une réelle préférence pour Jovial qu'il assaillait de lèchouilles et qu'il reniflait assidument. Pour une fois, les quatre membres de la famille étaient présents (un samedi à 17h, ce n'était pas souvent !), et la douceur du regard de Jovial nous avait touchés.
Mais c'était bien Fairy que je tenais en laisse en sortant dans le jardin pour prendre congé. Je n'arrivais pas à laisser partir H.L. avec Jovia. J'avais choisi Fairy et il n'était pas question de prendre deux chiens ! . On m'assura qu'elle aussi serait bien placée, mais rien n'y fit ! Je m'en voulais terriblement.
Le moment du départ approchait. Une force irrésistible m'attirait vers Jovial. Il était impossible de la laisser partir. Puis en l'espace d'une seconde, l'évidence crevait les yeux : c'était Jovia que je voulais garder, elle et son regard si doux, elle et ses yeux si résignés. Comment avais-je pu en douter. Tout me montrait que c'était Jovial qui nous était destinée, et non Fairy. L'empressement de Dedicace, le consensus familial, et cette force qui m'attirait vers elle.
Jovial entra dans ma vie si doucement, si timidement , mais avec quelle force. C'en était bouleversant.  

Jamais nous n'avons regretté notre choix, et Jovia, c'est ainsi que nous l'avons appelée, nous a tant apporté depuis ce jour. Nous ne connaissions pas son âge, mais on nous avait dit qu'elle avait entre quatre et six ans (notre vétérinaire affirma qu'elle était plus près des six que des quatre !). Peu nous importait car tout ce que nous voulions, c'était lui offrir quelques belles années de retraite tant méritée. Ses blessures furent soignées et elle eut même droit à de la chirurgie esthétique sur le dessus de la tête ! Nous ne savions pas alors, quelle surprise nous attendait...